"Je sais que les 6,30m vont arriver un jour": avant le meeting Herculis à Monaco, le recordman du monde du saut à la perche Armand Duplantis répond aux questions de nos lecteurs

Jusqu’à quelle hauteur pensez-vous pouvoir sauter?
Je pense que ce sera moins haut que ce que vous pouvez imaginer. Je suis très impliqué dans le moment présent, je me concentre beaucoup sur mes futures échéances, mais je suis incapable de voir au-delà d’un an. Je sais que les 6,30 m vont arriver un jour, je l’espère bientôt. Je sais qu’ensuite, j’essayerai d’aller le plus haut possible, mais on verra le moment venu.
Est-ce que petit, vous vous imaginiez déjà battre douze fois le record du monde?
Peut-être pas douze, mais au moins une fois, oui, absolument (rires). J’ai toujours senti que j’en étais capable, j’ai toujours eu espoir et je croyais au fond de moi-même que je pouvais être le meilleur du monde, être dans la position que j’occupe actuellement. Bien sûr, c’est un peu un rêve, un peu irréel, mais dans le même temps, j’y ai toujours cru. Désormais, je pense que j’en ai fait plus que ce que je pouvais espérer.
Comment gérez-vous la pression, alors que tout le monde s’attend à votre victoire?
Je pense que je me suis construit une confiance en moi au fil des années. C’est normal d’être stressé lorsque vous faites quelque chose pour la première fois. Mais quand tu t’améliores, la confiance arrive et cela permet de ne plus penser autant à cette pression.
Comment rester motivé quand on est tout seul à pouvoir aller aussi haut?
En sport, rien ne t’est donné. Tu dois te battre tous les jours. Je sais qu’en allant à Paris l’été dernier, tout le monde s’attendait à ce que je gagne. Mais personne ne va te donner l’or gratuitement, juste parce que tu es censé gagner. Il y a toujours des gens qui vont me regarder, et ils veulent voir que je saute bien. Alors quand je suis sur la piste, je pense à ce que je veux réaliser à l’instant T, pas à ce que j’ai déjà pu faire. C’est comme ça que je reste déterminé.
Quelle hauteur franchie vous a laissé le meilleur souvenir?
La dernière (son record du monde à 6,28m, ndlr).
Mais qu’est-ce que vous ressentez lorsque vous êtes tout en haut?
C’est toujours un flot d’émotions indescriptibles. Je me sens super euphorique, c’est une folle montée de dopamine. C’est assez dur à décrire, assez déroutant, hallucinant.
Qu’est-ce qui est le plus dur dans la vie d’un perchiste de haut niveau?
La planification. Il y a tellement de choses à faire, à prévoir. Parfois des semaines ou des mois à l’avance. Tu peux te retrouver bloqué, c’est ça qui me stresse quelque peu.
Est-ce que vous ressentez une forme de responsabilité en tant que figure de l’athlétisme mondial?
Je ne me mets pas autant de pression dans ce sens. J’essaye d’inspirer les gens par le biais de mes performances, et je me concentre sur le fait de livrer la meilleure version de moi-même, c’est la chose la plus importante.
Est-ce que vous avez déjà traversé des périodes de blocage dans votre carrière? Comment y remédier?
Peut-être un peu plus sur le début, mais j’ai toujours eu cette mentalité de combattant. Je n’arrête pas l’entraînement si je ne suis pas satisfait. Même si je commence à me fatiguer, je continue d’enchaîner les sauts jusqu’à ce que je sente une performance décente. Et je deviens obsédé, je ne peux pas m’arrêter. Je peux très bien faire des sauts pendant quatre heures, jusqu’à ce que ce soit comme il faut.
Votre nom a une consonance française. Vous parlez français?
Non, malheureusement. Je comprends quelques mots, mais je ne parle pas. Mon nom vient de la Louisiane, où l’influence française est encore très forte. Là-bas, tout est marqué par la culture française : les noms de rues, la cuisine… Ça remonte à cinq ou six générations quand ma famille originaire de Bordeaux est partie s’installer à Lafayette (Louisiane). Je connais le mot ‘‘putain’’ (rires). Renaud Lavillenie et Thibaut Collet le disent tout le temps. Je ne sais pas si c’est un gros mot ou pas, mais ça revient souvent dans leurs bouches!
Vous avez publié des chansons récemment. La musique, c’est sérieux pour vous?
Oui, j’écris pas mal. J’ai beaucoup de morceaux en réserve. La musique, c’est une vraie échappatoire. Ça me permet de m’évader complètement de l’univers du saut. Je peux être ailleurs, plonger dans une autre atmosphère. C’est très personnel, presque thérapeutique.
On vous a vu battre Karsten Warholm dans une course décalée à Zurich l’an passé sur 100 m. Refaire ce genre d’événements vous tente?
Pourquoi pas. La première fois, on ne savait pas à quel point ça allait prendre, mais ça a fait un buzz énorme (les deux athlètes avaient initié leur défi à Monaco). Il faudrait trouver le bon format, la bonne personne. Peut-être un décathlon contre Sasha Zhoya (rires) ou un défi en saut en longueur? Ce serait fun.
Justement, en dehors du saut à la perche, y a-t-il une discipline que vous aimeriez essayer?
Le saut en longueur. Je ne sais pas si je serais bon mais ce serait le plus facile. C’est assez similaire dans l’approche à la perche. Après, tout ce qui dépasse les 100 mètres, c’est dur pour moi ! Le 200 m est peut-être ma limite. Mais j’aime bien imaginer que dans une autre vie, j’aurais pu être un bon coureur de 400 mètres.
Vous avez dit vouloir inspirer les jeunes. Que faites-vous?
En Suède, je n’ai pas ma propre piste, donc je m’entraîne souvent sur des installations partagées. Il m’arrive de croiser des jeunes et de leur donner des conseils. J’essaie d’organiser quelques événements pour eux chaque année. Ce qui me plaît, c’est de voir des enfants motivés, curieux, qui veulent progresser.
Et vous, quand vous étiez jeune, qu’est-ce qui vous a poussé vers ce sport?
Mon père. Il m’a tout construit dans le jardin, avec des matériaux de récupération, des vieux morceaux de piste, des poteaux bricolés. J’ai sauté jusqu’à 5,30 m dans notre jardin.
Avez-vous déjà sauté plus haut à l’entraînement qu’en compétition?
Non, jamais. C’est une question qu’on me pose souvent. Mais en réalité, je saute toujours moins haut à l’entraînement, environ 15 centimètres de moins.
Est-ce que vous pensez qu’une femme pourra un jour franchir 6 m alors que le record du monde actuel est de 5,06 m (Yelena Isinbayeva)?
Je le souhaite vraiment. On sent que ça progresse. Le niveau global est bien plus élevé qu’il y a six ou sept ans. Si une athlète arrive à franchir cette barre symbolique de 6 m, elle pourra tirer tout le monde vers le haut comme moi je l’ai fait chez les hommes en dépassant les 6,20 m. C’est comme ça que ça évolue. Il suffit d’une locomotive.
Avec votre palmarès, avez-vous déjà pensé à l’âge auquel vous raccrocherez?
J’y pense un peu, mais sans trop me projeter. Je ne sauterai sûrement pas aussi longtemps que Renaud Lavillenie (38 ans). Je me vois bien continuer jusqu’en 2032, peut-être 2036 si je suis encore en course pour l’or olympique.
Pendant vos vacances, que faites-vous?
Rien de très sportif ! Je me fais plaisir, je dors tard. Avec ma fiancée, on part dans des endroits au bord de l’eau. On se détend. Pas de randonnées ou de grandes aventures. C’est juste du repos et un peu de poids en plus avant de repartir.
Et le reste de l’année, vous avez une hygiène de vie irréprochable?
Globalement oui. Mais comme tout le monde, j’ai mes petits plaisirs. Les fast-foods, de temps en temps… J’ai quinze meetings par an et je mange treize ou quatorze fois par an au McDo. Je ne l’ai pas fait pendant sept ans mais je le fais maintenant après les concours. Je mange un burger, quelques nuggets. Vous savez, les perchistes sont les athlètes les plus fous. Ils cassent les règles. On fait des choses un peu stupides (sourire).
J’ai quelque chose à prouver à Monaco
Pourquoi avez-vous décidé de venir ici?
Il y a des centaines de raisons. La météo, déjà. Ce n’est pas un endroit où tu te sens obligé de venir. D’ailleurs, j’y resterai une semaine après le meeting. C’est aussi un lieu où tu peux sauter haut. Je pense que j’ai quelque chose à prouver ici. Je n’y suis venu que trois fois, dont une où j’avais 19 ans, et je n’ai pas encore sauté aussi haut que je le voudrais à Monaco.
Le stade Louis-II est le théâtre de votre dernière défaite en 2023, ça vous chagrine?
Non, je ne pense même pas à ça. Je ne suis pas superstitieux. Je sais simplement que ça me dégoûte de ne pas avoir sauté plus haut ici, que je suis déçu de moi-même et que j’ai envie de m’améliorer. Je me trompe souvent, je vais même encore faire des erreurs, mais je ne me trompe pas deux fois d’affilée. Je suis toujours très confiant avant ce meeting, notamment sur ma capacité à faire le spectacle.
Comment avez-vous préparé cette édition?
J’ai eu une série de compétitions, et le meeting de Monaco est la dernière avant une pause d’un mois. Je suis satisfait de la façon dont les choses se passent, de ma régularité et de mon timing. Plus je saute à la perche, mieux je me sens. Je m’améliore au fur et à mesure des rendez-vous.
Qu’est-ce que vous visez à Monaco?
Quelque chose de très bon. Je pense que j’aurai beaucoup plus à offrir que lors de ma dernière venue ici (voir plus haut). J’ai réussi à passer 6,28 m il y a quelques semaines à Stockholm, donc la forme est clairement présente. Même si mon dernier meeting à Eugene ne s’est pas forcément passé comme je l’aurais voulu. C’est à moi de mettre les ingrédients. Je me sens tellement mieux que la dernière fois...
Vous sentez qu’un nouveau record du monde est dans vos cordes vendredi?
Je me sens déjà mieux qu’à Eugene, c’est une évidence. Je pense que je suis capable de faire mieux qu’à Stockholm. Le record du meeting (6,02 m de Piotr Lisek en 2019). Oui, c’est un objectif. Je suis confiant en ma capacité à l’atteindre. J’espère même aller plus haut.
Angelo Vela-Romeo (17 ans, Saint-Paul, licencié): "J’ai trouvé ce type d’interviews hyper sympas. Il y avait de la proximité et il a pris le temps de nous répondre. C’était une superbe expérience. Il a été abordable, c’est le même qu’on voit à la télé."
Dorian Stehelyn (32 ans, Roquebrune-Cap-Martin): "Rencontrer un tel athlète, je ne le revivrai peut-être pas dans ma vie. Je l’aime beaucoup. Il a une telle suprématie sur les autres. C’est vraiment le champion, le Messi ou Ronaldo du saut à la perche. Il est juste resté un peu timide sur sa vie privée. Là-dessus, il est compliqué à aller chercher (sourire)."
Esteban Désiré (14 ans, Beausoleil): "Avoir pu le rencontrer, c’est exceptionnel. J’ai pu poser mes trois questions et j’en suis très content. Je retiens sa gentillesse et son humour. C’est une belle personne mais j’étais intimidé. J’ai un peu bégayé (sourire)."
Frédéric Lacroix (62 ans, Beausoleil): "Ce que j’ai vu de lui est fidèle à ce que je pensais. Il est réfléchi et intelligent. Il a de l’humour et de la répartie. Le mental, c’est sa force."
Lucile Rey (12 ans, Peillon, licenciée venue avec son père): "Malgré la barrière de la langue, il comprenait nos émotions. Je ne pensais pas qu’on serait aussi près de lui. Il ne disait pas juste deux mots par question et c’était super bien. Il n’a pas gardé les choses en lui comme d’autres sportifs pour faire de la com’."
Romain Queille (46 ans, Menton): "On sent que c’est quelqu’un de simple. Cette interview l’humanise. Il est comme nous mais on sent qu’il a un truc en plus. Calme et confiance émanent de lui."
Les épreuves féminines
100 m, 400 m, 1000 m, 100 m haies, 400 m haies, poids.
Les épreuves masculines
200 m, 800 m, 5000 m, 110 m haies, 3000 m steeple, saut en hauteur, saut à la perche, triple saut.
Meeting Herculis, vendredi à partir de 19h au stade Louis-II. Billetterie sur herculis.com. Billets à partir de 15 euros.
Nice Matin